Depeche Mode : Cover Story #3 (1993-2001)

La carrière de Depeche Mode prend un tournant dans les années 90. Un tournant dont le groupe va manquer de ne pas se relever. Trois albums seulement dans cette Cover Story, qui relate la période la plus turbulente des lads de Basildon, avant de s’attarder sur leur convalescence dans le dernier volet.

Résumé des épisodes précédents

Après un léger passage à vide, Depeche Mode a retrouvé le chemin du succès avec une étonnante traversée de l’Atlantique : de petit groupe culte, Dave Gahan et sa bande sont devenus de véritables stadium rockers, combinant leur électro pop avec une énergie rock et des influences blues de plus en plus présentes. On raconte cette transformation dans les deux premiers Cover Story :

Lire les autres épisodes de la Cover Story Depeche Mode :

Depeche Mode : Cover Story #1 (1981-1984)
Depeche Mode : Cover Story #2 (1986-1990)
Depeche Mode : Cover Story #4 (2005-2017)

Songs of Faith and Devotion (1993) : la métamorphose grunge

Comment succéder au carton de Violator ? C’est Dave Gahan qui va forcer la marche, en revenant de Los Angeles, où il habite désormais, les cheveux longs, les bras fins et tatoués, et les veines remplies d’héroïne. Influencé par la scène grunge et horrifiant ses camarades, il pousse Depeche Mode vers une métamorphose rock.

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Et la pochette de Songs of Faith and Devotion, qui résultera de sessions tendues et tumultueuses, achève cette transformation visuellement. C’est le premier album studio de Depeche Mode, et le seul d’ailleurs, où le groupe apparaît au recto.

Anton Corbijn est toujours aux manettes visuellement parlant, et fidèle à son esthétique fétiche. Une photo granuleuse en noir et blanc dont le clair-obscur rappelle une sorte de version grunge du fameux cliché de Robert Freeman pour l’album With The Beatles. Le logo du groupe est dessiné au pinceau, comme les visages des membres. Les formes seront réutilisées pour les visuels de la tournée Devotional.

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Songs of Faith and Devotion est un changement de ton aussi radical que la transformation de Gahan en Jesus rock’n’roll, délaissant complètement les programmations précises et méticuleuses pour un son sali et organique, les rythmes métronomiques pour des boucles de (vraie) batterie jouées en live, et les synthés clairs pour des ambiances lourdes, à base d’arrangements de cordes et de choeurs mystiques. Dave Gahan est sous influence, mais pas que de l’héroïne. Sa voix n’a jamais été aussi puissante et habitée que sur les incroyables I Feel You, In Your Room ou Higher Love. Martin apporte sa touche plus intimiste sur Judas et One Caress, accompagné uniquement par les cordes sublimes de Will Malone (Massive Attack, The Verve…) On peut discuter sur le meilleur album de Depeche Mode, chacun a son préféré. Songs Of Faith and Devotion restera toujours le mien, pour ce mélange unique entre électro et rock, jamais reproduit avec la même perfection depuis.

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À l’intérieur du livret, les photos prises sur le vif par Anton Corbijn montrent le groupe en studio, ou plutôt dans la maison madrilène qui leur sert de studio. Alan qui joue de la batterie, Dave qui tient une guitare électrique, assis sur un ampli, pas un clavier en vue.

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En réalité, le groupe ne tire presque rien des sessions initiales d’où sont extraites ces photos. Un cliché, étonnant par sa présence même, résume l’atmosphère de l’enregistrement : Dave Gahan ailleurs, Martin Gore et Andy Fletcher affalés et inertes, tandis que Alan Wilder, flou au premier plan, est penché sur une console, visiblement le seul à travailler. Les choses se dénoueront (un peu) à Hambourg, et l’album, sublime, verra le jour dans la douleur.
Petit bonus pour la route : à une époque où le CD devient le format le plus important, Anton Corbijn s’amuse avec le boitier intérieur qui laisse apparaître… une petite culotte. Intrigué, on détache la partie retenant le CD pour découvrir une devanture de magasin de lingerie. On se distrait comme on peut quand on est designer.

Songs of Faith and Devotion Live (1993) : le point de rupture

Quelques mois après la sortie de l’album, alors que la tournée suit son cours, Songs of Faith and Devotion Live est exactement ce que son nom laisse penser : l’album Songs Of Faith And Devotion, en concert, dans l’ordre original des chansons. Depeche Mode n’ont jamais joué un album en entier sur scène : il s’agit d’une compilation de plusieurs dates.

Corbijn ne se contente plus, à l’époque, de réaliser les pochettes et les clips du groupe. Il conçoit également toute leur scénographie, et la pochette de Songs of Faith And Devotion Live reprend ces visuels, disposés sur des écrans carrés, une mise en scène élaborée et atmosphérique, parfois presque statique. La scène est presque une représentation de la fracture du groupe. Dave Gahan occupe le devant, seul ou presque pour faire son show de Jesus décadent. Les autres membres sont à l’étage, au dessus des écrans.

Alan Wilder s’implique comme jamais dans la réalisation des versions live des morceaux, en guise d’ultime tentative de prouver son importance aux yeux du reste du groupe. C’est aussi lui qui introduit, pour la première fois, une vraie batterie dans un concert de Depeche Mode, et il parvient au final à inscrire son seul nom sur les crédits, plutôt que celui de DM.

Mais sa décision mûrit jusqu’à atteindre l’irrévocable : il quitte le groupe à la fin de la tournée, exaspéré par « la répartition déséquilibrée de la charge de travail » et « l’absence de respect et de reconnaissance » qu’il aurait souhaité avoir en retour.

Ultra (1997) : mort et résurrection

À la fin de l’interminable tournée Devotional, Depeche Mode est en ruine. Dave Gahan commence à toucher le fond du trou de son addiction à l’héroïne (jouer les Jésus Grunge, ça ne dure qu’un temps), Martin Gore est à la limite de l’alcoolisme, Andy Fletcher a quitté la tournée pour soigner sa dépression, et Alan Wilder, donc, s’en est allé.

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Difficile d’engager la création d’un nouvel album, et c’est pourtant ce que le groupe redevenu trio tente de faire, sous la houlette de Tim Simenon (Bomb The Bass). Et sans surprise, c’est un fiasco. Dave Gahan, affaibli et hagard ne sait plus chanter, rendant les premières sessions inutilisables, et passe à plusieurs reprises à côté de la mort, une fois en se taillant les veines, l’autre en commettant une overdose qui va, enfin, le pousser à redevenir clean.

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Et c’est sur ces fondations fragiles que se dresse Ultra, un album hésitant, comme sa pochette dont on ne sait pas trop quoi penser. Toujours réalisée par Anton Corbijn, elle met l’accent sur des typographies et des photos floues et bleutées.

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Le groupe apparaît toujours, mais cette fois-ci au verso, avec des airs fantomatiques. Contrairement à Martin Gore qui nie avoir écrit ses chansons du point de vue de Gahan, Corbijn ne se cache pas d’avoir voulu mettre en scène ses addictions.

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Le son joue lui aussi les équlibristes : un retour vers l’électronique tout en penchant plus que jamais vers le rock ou la country. Sur Useless ou The Bottom Line, de « vrais » musiciens de studio (BJ Cole, Jaki Liebzeit…) viennent remplir les rangs pour la première fois.

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Beaucoup plus minimaliste que son prédécesseur, Ultra brille quand le background hip hop de son producteur fait des merveilles, comme sur Barrel of a Gun, choisi judicieusement comme le single du retour, ou Home, une superbe ballade épique qui marie la voix de Martin Gore à de somptueux arrangements de corde. La musique, malheureusement, est reléguée au second plan, et la presse préfère s’intéresser aux confessions impudiques de Dave Gahan sur sa période noire.

Depeche Mode ne tournera pas avec Ultra, pour laisser du temps aux blessures de cicatriser. Une série de concerts seront organisés pour la sortie du best of The Singles 86>98 l’année suivante, qui inclut Only When I Lose Myself, un très bel inédit qui aurait pu figurer sur l’album.

Exciter (2001) : une sérénité fragile

Exciter, dixième album de Depeche Mode, publié 20 ans après le premier est, quelque part, une renaissance. Ou plutôt une convalescence. Dave est clean, le groupe a prouvé qu’il pouvait surmonter l’absence d’Alan Wilder, et s’apprête à sortir un album serein, presque zen, produit par l’excellent, et regretté, Mark Bell (LFO, Bjork…).

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En coulisses, ça n’est pas tout à fait aussi idyllique. Dave Gahan n’est pas satisfait de la façon dont on le traite comme un simple instrument, et tente en vain d’imposer ses propres chansons. Martin Gore, lui, a du mal à sortir les siennes de son stylo, et souffre d’une panne d’inspiration qui, il faut l’avouer, s’entend un peu sur certains textes et mélodies recyclés. Pour l’assister dans l’écriture et la préproduction, le groupe fait appel à un vieil ami : Gareth Jones, ingénieur du son sur Construction Time Again, Some Great Reward et Black Celebration.

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L’album sort au bout d’une longue période de gestation, et se démarque par son atmosphère intimiste et ses sonorités calmes et limpides. Un magnifique cactus vert orne la pochette, et les photos, réalisées à Santa Barbara où Martin vit désormais montrent le groupe serein, rasé de près et sous de soleil. Une esthétique à des années-lumière du grunge sale de Songs of Faith and Devotion.

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Bizarrement, la photo du groupe qui orne le verso disparaît au profit d’un fond noir sur les éditions suivantes. Il faut dire que Dave planté à côté de la porte des toilettes d’un diner américain n’était peut-être pas une image très flatteuse du groupe…

Le disque passera un peu à côté des fans, et c’est dommage. Sans doute trop douces et subtiles pour les masses qui réclament Enjoy The Silence ou Never Let Me Down Again, des petits bijoux électroacoustiques comme Freelove, When The Body Speaks ou Dream On peinent à donner de la voix.

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Malgré quelques titres un peu moins réussis, c’est pourtant un joli disque aux accents trip hop et folk qu’il aurait été judicieux d’explorer davanatage. Au lieu de ça, Depeche Mode va revenir à Violator, ses tubes et son blues électronique. C’est bien aussi. Mais ça, on en parle dans la quatrième, et dernière partie !

La playlist

Choisir une dizaine de chansons de ces trois albums sans inclure tout Songs of Faith and Devotion n’est pas chose aisée, mais je me suis fait violence, et je n’en ai mis que la moitié. Bien qu’elle ne figure pas sur Ultra, Only When I Lose Myself figure dans cette sélection, parce qu’elle l’aurait mérité !

  1. Walking In My Shoes (1993)
  2. Home (1997)
  3. Barrel of a Gun (1997)
  4. When The Body Speaks (2001)
  5. Dream On (2001)
  6. In Your Room – Live (1993)
  7. I Feel You (1993)
  8. Only When I Lose Myself (1998)
  9. Freelove (2001)
  10. The Bottom Line (1997)
  11. One Caress (1993)
  12. Higher Love (1993)
  13. Insight (1997)

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Lire les autres épisodes de la Cover Story Depeche Mode :

Depeche Mode : Cover Story #1 (1981-1984)
Depeche Mode : Cover Story #2 (1986-1990)
Depeche Mode : Cover Story #4 (2005-2017)

 


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4 réponses à « Depeche Mode : Cover Story #3 (1993-2001) »

  1. Avatar de Cat88
    Cat88

    Excellent, vivement le 4ième volet !

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