La Cover Story de Depeche Mode s’achève, temporairement on l’espère, avec une décennie que l’on pourrait enfin qualifier de rythme de croisière. Le trio de Basildon traverse tout de même quelques remous, et remet en question sa place dans le monde. Une boucle bouclée que l’on observe, comme les épisodes précédents, à travers le prisme de leurs pochettes.
Résumé des épisodes précédents :
Après être devenus des superstars et avoir rempli des stades, Depeche Mode et son chanteur qui se prenait de plus en plus pour Jésus, ont commencé à piquer du nez. Après une overdose Gahanesque qui aurait pu être fatale, mais qui s’est avérée salutaire, les quatre de Basildon devenus trois ont repris leur périple rock.
Lire les autres épisodes de la Cover Story Depeche Mode :
Depeche Mode : cover story #1 (1981-1984)
Depeche Mode : Cover Story #2 (1986-1990)
Depeche Mode : Cover Story #3 (1993-2001)
Playing The Angel (2005) : la lumière retrouvée
Playing The Angel, après deux albums un peu hésitants, signe le retour du « vrai » Depeche Mode, aux refrains solides, aux tempos plus dansants, aux riffs de guitare renvoyant instantanément à Enjoy The Silence. Le producteur, Ben Hillier, pousse Gore dans ses retranchements, impose un son plus urgent, vintage et sale, et donne sa chance à Dave Gahan dont les ambitions d’auteur ne tenaient même plus dans sa petite carrière solo. Ses premières chansons pour Depeche Mode sont d’excellentes surprises.
La pochette reflète l’atmosphère : un collage à la hâte, bouts de scotch et déchirures apparentes, une typographie immédiatement reconnaissable et un étrange personnage fait de plumes.
Au dos, une photo du groupe comme on l’imagine. Monochrome (une variation couleur figure sur le CD collector), désinvolte et sexy. Et oui, Dave Gahan est visiblement un adepte du manspreading.
Un slogan, le premier depuis Music For The Masses, apparaît au bas : « Pain and suffering in various tempos ». Et c’est ça, Playing The Angel. Des tubes, des chansons plus lentes, voire contemplatives, des variations sur la douleur, l’absence, et l’espoir.
Sur le même album cohabitent Precious, une superbe pop song sur le divorce (« Je prie pour que vous gardiez de la place dans vos coeurs pour deux »), et Nothing’s Impossible, texte de Dave Gahan empreint de lumière retrouvée après un long hiver : « Je crois toujours au coup de foudre, rien n’est impossible ». Des mots adressés à des proches, à des enfants, mais qui pourraient bien décrire la relation entre Gore, Gahan et les fans.
Sounds of the Universe (2009) : un mauvais alignement des planètes
Bizarrement, l’album suivant a tout pour être une suite paisible : Martin Gore a arrêté de boire, Ben Hillier est reconduit à la production, le groupe est serein. Pourtant, Sounds of The Universe déçoit. Trop minimaliste, trop retro, pas assez puissant, l’album tranche nettement avec le calibrage efficace du précédent.
Le minimalisme est au coeur du son comme des visuels. Un cercle traversé de lignes de couleur, et une typographie beaucoup plus stricte décrit assez bien les sonorités d’un album inspiré par une sorte de « zénitude » cosmique et rétro futuriste, résumée par le slogan qui orne une fois de plus le verso : « Songs in the key of space ».
Musicalement, l’album est fortement marqué par l’usage de la nouvelle passion de Martin Gore : les synthés et boites à rythme analogiques qu’il se met à collectionner sans modération. Une addiction plus saine que la bouteille, qui donne à Sounds of The Universe une tonalité que certains qualifieront de trop légère et pas assez musclée, en décalage avec les ambitions du groupe qui entame une tournée des stades.
En parlant d’ambitions, Sounds of the Universe est le premier album de Depeche Mode à bénéficier d’un traitement deluxe : en plus des éditions standard et double CD/DVD, un luxueux coffret est commercialisé, comprenant quatre disques (3 CD et 1 DVD), deux livres de photos, des badges, des cartes postales et un poster. Un travail luxueux qui décline les visuels de l’album dans diverses formes, couleurs, et matériaux et une riche collection de photos du groupe par Anton Corbijn et plusieurs intervenants sur l’album, dont Daniel Miller.
Sounds of the Universe est néanmoins un album un peu maudit, pas de single mémorable, et une association malheureuse à de gros pépins de santé traversés par Dave Gahan tout au long de la tournée. On retiendra toutefois Wrong, premier single prémonitoire, mordant pied de nez à la fatalité (« Je suis né sous le mauvais signe, dans la mauvaise maison, de la mauvaise ascendance ») , et Come Back, une composition de Gahan aux accents noisy.
Delta Machine (2013) : le blues de la cinquantaine
Voilà maintenant plus de 30 ans que Depeche Mode aligne albums et tournées, et après le rendez vous manqué de Sounds of The Universe, le groupe revient à ses fondamentaux depuis les années 90 : le blues sauce électronique. Delta Machine, toujours produit par Ben Hillier, renoue avec le son organique de Playing The Angel, renforcé cette fois par l’usage de monstrueux synthés modulaires.
La période grise d’Anton Corbijn continue avec une pochette qui revient aux typographies manuscrites, déclinant cette fois l’idée du delta pour le logo du groupe et la photo monochrome insistant sur les réservoirs pointus des toits de New York, à la fenêtre du studio où a été enregistré une partie de l’album. Au dos, une photo du groupe au même balcon. Et plus de slogan, mais un détail important : le logo Columbia.
Premier album du groupe à être publié sous le nouveau contrat de Depeche Mode avec Sony Music, Delta Machine marque la fin d’une ère, même si le logo Mute, par amitié avec Daniel Miller qui gère toujours leur répertoire, cotoie l’oeil iconique, qui insère assez naturellement Depeche Mode dans la filiation de plusieurs influences de Martin L. Gore, comme Dylan ou Johnny Cash.
Une édition limitée voit également le jour, mais le budget est revu à la baisse : il s’agit d’un double CD accompagné d’un livret de photos, toujours impeccables, de Corbijn.
Delta Machine ne comporte pas vraiment de tube. La très belle ballade Heaven est un étrange choix de premier single, et le reste de l’album joue une partition familière : textes empreints de soul, de noirceur et de nostalgie, guitares bluesy, et rythmes électroniques lascifs (Slow, Goodbye) ou martelés, comme sur l’étonnant Soft Touch/Raw Nerve, sorte de croisement entre le Velvet Underground et Suicide. Plus sensuel que cérébral, ce n’est pas le disque le plus inspiré de Depeche Mode, mais sans doute le plus addictif dans leur discographie récente.
Live In Berlin (2014) : Anton’s heroes
Depeche Mode n’avait pas sorti d’album live depuis 1993. On pourrait presque inclure Tour Of The Universe, sorti dans une édition limitée incluant deux CD, mais Live In Berlin est le premier à sortir sous la forme d’un double CD sans vidéo, accompagné d’une version coffret DVD/CD (qui inclut également un Blu-ray audio de Delta Machine.
Pas grand chose à dire sur cette pochette où Corbijn ne s’est pas trop foulé. Un fond gris, la typographie triangulaire de Delta Machine et des bandes de couleur dévoilant des bouts de photo dudit concert, également filmé par Anton. Le Delta Machine Tour était une excellente tournée, pleine d’énergie et rassurante après un Tour of the Universe chaotique et fatigué. Le réalisateur capture ça avec sobriété et bon goût, ce qui change des affreux DVD précédents.
Spirit (2017) : la lutte finale ?
Qu’est ce qui peut encore nous surprendre sur Depeche Mode en 2017 ? Franchement, s’il y a une chose à laquelle je ne m’attendais pas, c’était voir Martin reprendre ses banderolles et son engagement politique en main et refaire la révolution, 31 ans après le dernier album de DM à avoir porté un texte en forme de commentaire social.
C’est pourtant le postulat de base de Spirit : le monde va mal, et Depeche Mode l’observe à nouveau, après s’être concentré sur son âme torturée pendant les années 90 et 2000. « Où est la révolution ? Allez les gars, vous me décevez ! » Plus désabusé sur l’état de la planète et l’apathie de ses habitants, Martin L. Gore reprend une plume consciente « du monde qui nous entoure, et de la vie en général ».
Retour au sources malin, les visuels de Spirit réssucitent la symbolique d’inspiration soviétique des premiers albums, mais avec l’humour et le décalage apporté par Corbijn : des banderoles et des bottes, mais façon cartoon, tandis que les photos et le clip de Where’s The Revolution montrent les trois Depeche Mode coiffés des barbes de Lenine et Karl Marx.
Petite coquetterie du vinyle : il s’agit d’un double LP dont seules trois faces sont gravées. La dernière est simplement frappée du titre inscrit dans le vinyle.
Spirit marque la fin de l’ère Hillier : c’est James Ford qui signe la production de l’album, avec la lourde tâche d’arbitrer les égos de Dave Gahan, qui impose de plus en plus ses chansons, et Martin Gore qui tente de rappeler que c’est lui le patronat ! La tension fragile fonctionne une fois de plus : les deux auteurs brillent sur cet album, Martin dont la conscience politique retrouvée renouvelle un vocabulaire qui commençait franchement à tourner en rond, et Dave dont les quatre contributions font mouche, surtout le planant Cover Me, et les touches soul de Poison Heart.
Ainsi s’achève, pour l’instant, l’histoire de Depeche Mode. Comme toujours on se dit qu’il y aura forcément un nouvel album, tout en sachant que c’est peut-être le dernier. Certains penseront qu’ils ont déjà passé le cap de l’album de trop, moi je me dis qu’ils pourraient très partir sur celui là sans avoir honte, ou sur les suivants s’ils en ont encore dans les cartons.
Bonus : la playlist Cover Story
Pour cette playlist finale, on ne peut plus vraiment parler de tubes, la plupart des singles étant passés inaperçus. Pas évoqué dans l’article, mais tout de même sublime, la plage finale de Playing The Angel, The Darkest Star, ferme la marche, parce que c’est mon titre de clôture préféré parmi les albums récents.
- Wrong(2009)
- John The Revelator (2005)
- Precious (2005)
- Angel – Live (2014)
- Going Backwards (2017)
- My Little Universe (2013)
- Nothing’s Impossible (2005)
- Cover Me (2017)
- Alone (2013)
- Come Back (2009)
- Soft Touch/Raw Nerve (2013)
- Poison Heart (2017)
- The Darkest Star (2005)
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Lire les autres épisodes de la Cover Story Depeche Mode :
Depeche Mode : cover story #1 (1981-1984)
Depeche Mode : Cover Story #2 (1986-1990)
Depeche Mode : Cover Story #3 (1993-2001)
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